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Les Bureaux de la FANA

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Message par Jacques Willsdorff Ven 4 Juin 2010 - 10:11

Comme son nom l'indique, c'est dans la radieuse et bouillonnante ville d'Alger que la Force d'Action Navale Algéroise a établi son quartier général. Après avoir bravé la tempête et combattu l'ennemi, les capitaines de la FANA ont toujours plaisir à mettre pied à terre dans la Cité Blanche pour retrouver leurs compagnons d'armes, apprendre les nouvelles, faire leur rapport, se restaurer et prendre un peu de repos. Ils se rendent alors Rue de Constantine, près du majestueux édifice de la Grande Poste. C'est là, au numéro 43, que se trouvent les bureaux de la flottille.

L'immeuble, qui date du début des années Vingt, comporte cinq étages. Il est crépi de beige, tandis que les encadrements des portes et des fenêtres, ainsi que les volets, sont entourés d'un liseré turquoise. Les ferronneries des balcons sont également peintes de cette même couleur, qui tire d'ailleurs un peu plus sur le bleu que sur le vert. On entre par une élégante porte de bois dans laquelle est ménagée une boîte aux lettres et sur laquelle on a apposé une plaque indiquant le nom de la flottille.

On est alors dans un large couloir qui mène à l'escalier massif. A droite se trouve une première porte sur laquelle il est écrit : « Concierge ». Derrière se trouve la loge de Monsieur Denis, le gardien de l'immeuble, dont les deux fenêtres donnent sur la rue. Celui-ci est un petit homme trapu, avec une moustache poivre et sel et des yeux rieurs. Vétéran de la Grande Guerre qui lui a valu de boiter de la jambe gauche, il est originaire de Nantes où il a appris le métier d'ébéniste avant de venir s'installer en Algérie. Bon artisan, il a travaillé avec sérieux jusqu'à l'âge de cinquante-huit ans. C'est alors que l'arthrite a eu raison de sa dextérité et qu'il est devenu gardien de cet immeuble. Il reste cependant bien assez doué de ses mains pour veiller à l’entretien du bâtiment et effectuer les réparations nécessaires. Modèle de courtoisie, il ne dort jamais que d'un œil, toujours prêt à accueillir et à assister les capitaines rentrant tard de mission.

Plus loin dans le couloir s'ouvre une deuxième porte vers une pièce toute en longueur, dont l'unique fenêtre donne sur la cour intérieur. C'est la chambre de Larbi, le commis de la FANA. Agé de 17 ans, ce jeune homme, orphelin depuis son plus jeune âge, a grandi dans la Qasbah d'Alger. Timide et observateur, ce grand garçon élancé au visage doux dispose d'un impressionnant réseau de connaissances dans toute la ville et il n'est pas rare que des secrets pourtant bien cachés soient connus de lui. Heureusement il est d'une honnêteté sans faille et d'une discrétion absolue. Connaissant Alger comme sa poche, il effectue les transmissions de messages en un temps record grâce à une bicyclette rouge qu'il entretient avec minutie dans le petit atelier qu'il partage avec Monsieur Denis au fond de l'arrière-cour. Les deux hommes entretiennent d’ailleurs une relation affectueuse et pleine de respect qui n’est pas sans rappeler celle d’un père avec son fils.

Lorsqu'on gravit l'escalier de pierre jusqu'au premier étage, il n'est pas rare de renifler avec délice une engageante odeur de cuisine. En effet, le premier est le royaume du brun Bertrand, le cuisinier, et de son épouse la blonde Marie-Louise, qui lui apporte son aide. Tous deux âgés de la petite trentaine, ils ont, deux ans avant la guerre, investi leurs économies dans un petit restaurant en plein centre de Dijon, leur ville natale. L'établissement a très vite connu le succès et fait salle comble grâce au talent de Bertrand aux fourneaux et à l'amabilité de Marie-Louise au service. Cette réputation dont ils s'enorgueillissaient tant est devenue un véritable fardeau une fois la France envahie. En effet, très vite les officiers Allemands de toute la région raffolaient de l'adresse et se disputaient les places à chaque service. Toux deux fervents patriotes, les deux époux se sont résolus à faire le dos rond en attendant une occasion de servir la France. Celle-ci s’est présentée lorsqu’un général SS a appelé un jour de Janvier 42 pour réserver une table pour le lendemain. Il invitait ses subalternes les plus zélés pour les féliciter de leurs efforts dans la lutte contre la Résistance. Bertrand s’est affairé toute la journée en cuisine tandis que Marie-Louise en faisait de même dans leur modeste logis. Le soir les officiers Allemands se sont régalés d'une plantureuse omelette forestière et ont quitté l'établissement ravis, sous le regard satisfait du couple qui dès la fermeture a saisi ses valises déjà prêtes et a franchi la ligne de démarcation à la faveur de la nuit. Il va sans dire qu'aucun des officiers présents au dîner ne s’est réveillé vivant le lendemain matin. Débarqués à Alger, ils ont décidé de mettre leurs talents de restaurateurs au service des Français Libres, conscients qu'il vaut mieux partir au combat l'estomac satisfait. Pour ce faire Marie-Louise a aménagé la grande salle du premier étage avec des tables rondes recouvertes de nappes à carreaux tandis que de l'autre côté du couloir Bertrand a installé sa cuisine et ses réserves. Les deux époux sont ainsi toujours prêts à recevoir une troupe de marins affamés et à leur préparer leurs plats préférés.

Une fois repu, on peut continuer sa progression et atteindre la troisième étage, celui des locaux administratifs, qui se découpent entre trois bureaux d’un côté, pour le Pacha et les deux secrétaires, et une vaste salle de réunion de l’autre. On y est guidé par une voix suave qui chantonne avec une douceur infinie les plus beaux trésors de la chanson. Cette voix est celle de Madame Dargès, la secrétaire en chef. C’est une femme menue, à qui il est bien entendu défendu de donner un âge, à la peau mâte et aux cheveux noirs sempiternellement enroulés dans un chignon élégant. Elle porte généralement des tenues sombres et classiques coupées avec soin et aime à fumer des cigarettes américaines à l’aide d’un long porte-cigarette cuivré. Son élégance et ses manières sont celles d’une dame du monde et elle est considérée dans le quartier comme une autorité en matière de mode. On y dit d’elle qu’elle a été chanteuse d’opéra à Vienne, épouse d’un prince russe déchu, geisha de luxe au Japon ou encore espionne pour la Couronne Britannique. Autant de rumeurs qu’elle réfute en riant, disant qu’elle n’a jamais rien appris d’autre que le secrétariat à Béziers, sa ville natale, avant de traverser la Méditerranée pour tenter sa chance. Néanmoins le fait qu’elle parle couramment une dizaine de langues et ait des notions dans la quasi-totalité des autres suffit largement à entretenir le mystère, de même que les fréquentes visites que lui rendent des officiers de marine de tous pays pour lui présenter leurs hommages et lui offrir des fleurs. Quoiqu’il en soit, c’est une secrétaire de grande qualité, dotée d’un sens de l’organisation inébranlable et d’une mémoire prodigieuse. Elle veille à ce que les capitaines de la FANA n’oublient pas de tenir leurs engagements administratifs et négocie sans ciller avec les plus haut gradés de toutes les amirautés Alliées au nom de la FANA, qu’elle considère comme devant être de toutes les flottilles la plus irréprochable au regard du Droit et des procédures officielles. Véritable encyclopédie juridique, elle s’en tient scrupuleusement aux lois de la Troisième République et refuse ne serait-ce que d’évoquer l’existence du régime de Vichy.

Elle est assistée dans sa tâche par ce que Paris fait de mieux en matière de charmante jeune fille, Mademoiselle Camille. D’une beauté rafraîchissante, avec ses longs cheveux châtains, ses yeux noisette et ses fossettes guillerettes, cette dernière dispose de deux qualités particulièrement remarquables : la volonté et la concentration. La volonté lui vient d’un passé qui bien que jeune n’en est pas moins affreusement douloureux. En effet, Camille a dès les premiers temps de l’occupation vu ses deux parents, soviétique(s) déclarés, être arrêtés par Vichy. Elle a alors enduré plusieurs mois sans nouvelles durant lesquels elle a appris à se débrouiller seule. Puis, en décembre 1941, un gendarme éhonté est venu lui apprendre que ses parents étaient incarcérés et qu’ils allaient être exécutés trois jours plus tard. Camille s’est alors démené pour obtenir une visite. Lors de cette bouleversante entrevue, elle a entre deux sanglots juré à ses parents de venger leur mort en luttant jusqu’au bout de ses forces contre l’oppression. Malheureusement ses paroles étaient surveillées et Camille s’est retrouvée arrêtée à peine quelques heures plus tard. Dans le fourgon qui la conduisait à son tour en prison, la colère et le désespoir la poussaient à tout faire pour se libérer. Se sachant trop frêle pour assommer ses gardes, elle a alors su faire bon usage de son sourire désarmant pour obtenir un arrêt inopiné et un moment d’intimité suffisant pour se volatiliser. Grâce aux amis de ses parents, elle a alors pu rejoindre l’Algérie et a vue dans la FANA une excellente occasion d’honorer sa promesse. Sa deuxième qualité, la concentration, a été acquise ici-même. En effet, Camille est capable de travailler avec le plus grand sérieux malgré la présence quasi-permanente de jeunes marins de la FANA qui, agglutinés autour de son bureau, lui font une cour assidue.

Si on laisse les deux femmes à leur ouvrage et qu’on poursuit l’ascension, on arrive à l’étage dit « documentaire ». On y trouve une petite salle d’archives, une confortable bibliothèque et une riche cartothèque, également appelée service hydrographique. Le tout est sous la responsabilité de Fernand, un grand Alsacien de vingt-quatre ans ayant fui la France pour ne pas se retrouver enrôlé de force dans la Wehrmacht. Celui-ci porte tous les jours un uniforme scintillant, cadeau des capitaines de la FANA, et s’enorgueillit d’être à sa connaissance le seul bibliothécaire-archiviste-cartographe qui n’ait pas besoin de lunettes et sache se servir d’un fusil. Latiniste hors-pair et amateur de calembours, il n’a de cesse de répertorier tous les documents de l’étage selon un système de classement particulièrement abscond qu’il est le seul à comprendre vraiment. Néanmoins il n’existe pas une feuille de papier qu’il ne sache retrouver en quelques instants dans ses armoires et étagères. D’une main sûre et précise, il dessine avec une rapidité remarquable les cartes thématiques qu’on lui demande. Dans un coin de la bibliothèque se trouve une armoire de chêne qu’il garde jalousement. C’est là qu’il garde six fusils en parfait état ainsi qu’une importante réserve de munitions, prétextant que si les Allemands ont de nouveau l’audace de visiter la ville, ils doivent être reçus dignement.

Enfin le dernier étage est celui où logent les capitaines entre deux missions. Il consiste en un grand dortoir où ces messieurs ont chacun un lit et un coffre pour leurs effets personnels, auquel il faut jouter une chambrette pour les capitaines féminines et une petite salle de bains. Au centre du dortoir se trouve une large table de chêne où les parties de tarot et de belotte vont généralement bon train. On note aussi qu’au dessus de certains lits on été fixés d’imposants crochets de fer. Cela s’explique par le fait que parmi les membres de la FANA, il en existe pour qui le tangage d’un navire est devenu tellement naturel qu’ils préfèrent dormir dans un hamac lorsqu’ils sont sur la terre ferme. Au fond de la pièce se trouve une échelle de bois qui mène sur le toit. Souvent les FANAs aiment à la gravir pour s’installer sur les tuiles chaudes et bénéficier de la vue imprenable sur la majestueuse Mer Méditerranée. Ils songent avec nostalgie au pays qu’ils ont laissé là-bas de l’autre côté, et rêvent du jour où ils y retourneront en libérateurs.
Jacques Willsdorff
Jacques Willsdorff

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